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des traces de pas...sur les nuages
28 avril 2021

Toc toc toc bonsoir et bienvenus

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Le samedi était jour de marché.

Je glissais un filet dans mon panier afin de séparer ses courses des miennes, parfois j'en ajoutais dans le sien, elle était si frêle. La veille elle descendait d'un pas de souris et glissait deux billets sous ma porte, sa liste et les 20euros.  Je toquais à sa porte au retour et accrochait  au bouton de porte le filet débordant. Je l'imaginais s'avachir et se déployer sur sa table de cuisine puis rester là, s'impregnant des odeurs alors qu'elle rangeait et disposait à sa façon fruits et légumes. Le soir il était de retour pendu à ma porte, imprégné des senteurs d'un mélange indéfini d'épices.

Dans la cour le dimanche matin, les gamins de la mère du 6ème jouaient depuis 8h, Chaque palier distribuait cinq appartements.  Quelque part au bout de la branche de cette étoile quelqu'un aspirait la poussière de la semaine. Vers midi, il y avait les bruits de casserole et la théière sifflante derrière le mur de la cuisine. 

Le dimanche soir signait le retour des histoires.

Dans cet immeuble ancien, nous avions conservé certains radiateurs en fonte, enfin surtout un, il fallait en garder un chacun. Pour le standing. La bonne excuse, le syndic avait approuvé à l'unanimité. Un réseau de tuyaux courait dans les murs et plancher et reliait les fameux appareils vidés de leur eau et avec le gros boulon dévissé tout en bas.

C'était un secret que j'avais mis trois ans à découvrir.

Tous les soirs sauf le samedi, à 21h un "toc toc toc" résonnait dans la chambre, ce n'était pas le chauffe eau, la chasse d'eau ou un des voisins mécontent.  Cela venait des tuyaux. J'avais dévissé le boulon et entendu "bonsoir".

" Bonsoir et bienvenus les fatigués, les reposés, les travailleurs, les retraités, les éconduis, les amoureux transis, nous voici réunis, êtes vous bien installés? Fermez les yeux, nous partons en voyage..."

De quoi s'agissait il le premier soir, d'un poisson à moteur? ou d'une sirène urbaine? M'étais je endormi? Sa voix dans les tuyau nous sussurait des choses, nous portait aux nuages. 

Chaque soir, sauf le samedi, "toc toc toc".

Voisins, ou visiteurs, personne n'en disait rien, nous nous croisions dans les escaliers.  Mais peu avant l'heure, je pouvais voir de la fenêtre les retardataires ouvrir vite la grande porte, et entendre les pas pressés quatre à quatre.

Je me suis suis même demandé si les tuyaux n'étaient pas reliés aux immeubles voisins.

Combien comme moi ont scié les pieds de leur lit ou permuté chambre et salon? 

Qu'il etait bon de rentrer du travail, des vacances, de laisser tout en plan ou se préparer, les mains jointes sous l'oreille, les genoux repliés, ou bien à plat prêt à décoller.

"Toc toc toc, bonsoir et bienvenus", ma respiration ralentissait, enroulé dans la couverture, rien ne pouvait m'arriver.

Combien étions nous dans l'immeuble, corps flottants, enroulés dans nos chagrins, le souffle de sa voix caressant nos visages.

Dès 21heures, nous partions, en traineau, ou depuis une pierre, au milieu de la forêt, nous croisions des ours, intégrions la meutes de loups devenions chat errant ou enfant solitaire.

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Par les tuyaux, derrière notre guide, nous abandonnions les particules sombres de nos vies tourmentées. Les étages quadrillés devenaient jardins ou palais. 

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Aucune histoire ne ressemblait à une autre, je me demande si elle les créait à mesure.

 Longtemps j'ai soupçonné la concierge ou le célibataire du 4ème.

Mais un vendredi, je n'ai trouvé ni les 20euros ni la liste et le dimanche il n'y a pas eu d'histoire.

J'ai tambouriné à sa porte, les voisins se postant à mesure le long de la rambarde de l'escalier.

C'était ouvert et nous sommes rentrés, l'appartement embaumait les épices, on a mis les patins et suivi les tuyaux . Ils menaient à la salle de bain, au grand placard de 1m2 .

C'est là qu'elle était, toute de nuit enveloppée , son visage souriant à jamais, devant un tuyau devenu muet.

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