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des traces de pas...sur les nuages

12 avril 2023

Camera obscuraL’atelier se situait au rez de

Camera obscura
L’atelier se situait au rez de chaussée d’une petite rue étroite qui ne permettait qu’aux piétons et
vélos de passer. La devanture était sobre avec nos deux noms et prénoms écrits par ordre alphabétique et notre profession.
Les lettres enlacées ne laissaient aucun doute sur notre relation, mais mon prénom épicène nous
avait valu quelques dégradations avant que notre réputation restaure les esprits égarés.
J’aimais accueillir, recueillir les premiers regards impressions, donner mon nom et présenter
l’atelier. Cela me permettait une proximité, je captais les odeurs des vêtements, du savon, de la peau de la
maman quand son bébé passait de ses bras aux miens.
L. ne voulait pas d’enfant, cela était convenu, dès le début de notre relation. Il était l’aîné et le seul
survivant de la fratrie, il les avait tous vu mourir de maladie, impuissant il avait éprouvé la perte de ces camarades de
jeu dont il s’occupait. Sa mère n’y avait pas longtemps survécu et le langage de
son père s’était peu à peu tari. D’eux il ne restait presque rien , il avait sauvé un bonnet, deux
chemises et des petites chaussons, avant que son père ne donne tout le reste.
Pas d’enfant pour ne plus éprouver la perte, il vivait retranché derrière l’objectif de son appareil
photo.
C’est grâce à cette passion commune que nous nous étions rencontrés.
Alors que je transportais trépied et appareil dans un caisson à roulettes jusque chez moi, il m’avait perçu depuis le pont et etait descendu. Pour la première fois quelqu’un a fait mon portrait, le cadrage était habile, les défauts estompés.
Notre atelier, spécialisé dans les portraits de famille était « itinérant ». Les familles nous ouvraient
leurs portes quand se déplacer leur était impossible.
Ainsi nous photographions les vivants, les jeunes, les vieux et les défunts.
Mais ce que je préférais c’était capturer le souffle des nourrissons que je ne porterais jamais.
Ils étaient amenés à quelques jours de vie par leur mère ou nourrice à l’atelier. La photo les rendait
éternels, on ne sait jamais ce que la vie vous réserve.
Les femmes venaient avec un linge de lit dans lequel reposerais le nourrisson. Je sortais de la remise
les grands tissus et nous faisions notre choix. Broderies, fleurs, dorures éclatantes, les motifs étaient
étudiés pour être visibles et agrémenter la photo.
Je m’en enveloppais toute entière, m’asseyait dans le grand fauteuil. Puis on me posait le bébé sur
les genoux et je faisais un cocon de mes bras recouverts. Au travers des trames j’humais la petite
nuque. Rien ne me plaisait plus que d’être ce fantôme de tissu, de sentir les moindres mouvements
contre ma poitrine et d’imaginer les battements de mon cœur apaisant cet être nouveau.
Les longues séances emplissaient mes poumons et mon corps. Puis venait la séparation, le bébé me
Quittait, j’ôtais mes costumes et reprenais mon travail.
Mais le moment avait existé et il m’emplissait jusqu’au soir.

Peu à peu j’ai commencé à ouvrager les tissus afin de mieux accueillir les bébés, cousu des manches,ajouré les plastrons, changé le tissu épais qui masquait mon visage en un voile depuis lequel je pouvais souffler du chaud. Ainsi leur peau se rapprochait de la mienne.

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Dans cet abri de laine de coton et de soie, les nourrissons restaient calmes parfois s’assoupissaient.
Les nourrices et les mères avaient le temps d’aller faire une course ou de se reposer sur la méridienne près de la
fenêtre.
Un jour en me levant, un des tissus usés, tendu depuis mon talon, s’est déchiré. Plutôt que de
recoudre les deux bords entre eux, j’ai aménagé la béance. On aurait pu y passer le bras et c’est là
que s’est enfouie lors d’une séance une petite tête affamée attiré par mon sein. Et peu à peu, le lait
est venu. Cela avait été si simple. Oh bien sûr il ne s’agissait que de moments fugaces, invisibles des
autres, mais c’était un peu de vie qui de moi passait chez ces petits.
Si seulement nous avions pu être engloutis parles étoffes, nous serions partis dans un monde fleurs
de tissus et de nuages au point de Rhodes..
Peu à peu le travail a changé, les nouveaux appareils plus légers m’ont libéré des intérieurs sombres
et j’ai pu travailler plus aisément au dehors. L’atelier s’est éloigné, j’ai cessé d’étreindre ces petits.
Mon amour s’est éteint.
Grace au Rolleiflex posé sur le nombril, mon œil a quitté le viseur pour embrasser les paysages, les rues et les
visages.

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Le monde s’est ouvert, mon corps s’est libéré. En pantalon, je marche vers mes prochains sujets.
Je vois tout sans artifice, sans cet appareil entre moi et les autres. Et la vie est devant dorénavant.

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23 novembre 2022

Quelques gouttes

Une petite lumière luisait entre les feuilles. Les nuages et les arbres avaient été généreux. Il se préparait à une soirée de palabre suivie d' une nuit de veille. D'autres comme lui étaient prêts à partir en mission.

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Agile, il sortait de son refuge avec sa lanterne faite de pétales entourant une nervure incandescente.

La nature avait bien travaillé. La pluie avait dégringolé, s'enrichissant à chaque branche caressée, jusqu'à se poser en une goutte qui se nourissait de la sève exsudée. Car chaque goutte choisissait une branche accueillante et sûre, c'était ainsi, imparable. La fine écorce formait un creux où la goutte maturait.

Mais cela ne suffisait pas, les autres étaient indispensables, habitants de l'arbre, des sols et fougères, ceux là avec leur petite lanterne fibreuse et translucide. 

IIs avançaient, sautant et glissant de branche en branche puis se postaient à côté d'une goutte. Ils vérifiaient que leur lanterne était protégée du vent, et se mettaient à anonner.

Les sons sortis de toutes ces bouches de tous ces êtres veillant les gouttes, montaient, descendaient, se croisaient, formant des chemins onduleux qui parfois fusionnaient.. L'arbre semblait alors respirer, il aurait fallu capter l'imperceptible pour le savoir, peut être certains le savaient vraiment.

Les gouttes lentement changeaient de forme , nourries de l'intérieur et de ses sons enveloppants, elles s'épanouissaient comme des prunes opaques.

Puis, peu à peu, leur peau devenait transparentes et on pouvait alors distinguer en leur centre un petit être endormi.

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Les oiseaux de toute taille et forme arrivaient alors et entourant la goutte de leurs ailes tombantes, ils la détachaient délicatement du bec pour l'emporter jusqu'à leur nid.

Là, dans un lit de plume, la goutte peu à peu libérait l'être blotti en son coeur. 

Ainsi se peuplait l'arbre monde, et toute la forêt alentour.

Ainsi, derrière les feuilles vivaient d'autres vies minuscules et indispensables.

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19 octobre 2022

Îlot Renard

        La maison se trouvait non loin du Rond point du Renard, lui-même situé au lieu d’une ancienne place
qui fut envahie au Moyen âge par une horde de renards affamés.
        Plutôt que de les chasser, la population avait monté les poules dans les étages, afin que circulent les
renards, les tolérant et les nourrissant parfois. Ils avaient débarrassé la ville des nuisibles, épargnant
les habitants des fléaux de l’époque.
        Les siècles passant, et l'urbanisme croissant, ils avaient retrouvé la forêt mais on pouvait en voir encore roder en
périphérie et à l’orée du bois .
        Une statue d’un renard bien roux avait été érigée au milieu du rond point, sur un petit piédestal de
pierre et de mousse, il vous suivait de son regard bleu.
        De nombreux accidents remirent en cause sa présence et le rond point s’agrémenta de buissons et
de massifs afin de camoufler un peu la bête. Trop de superstitions avaient traversé le temps, il aurait
été impensable de desseller la statue.

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        De la fenêtre d’une des chambres je pouvais encore bien le distinguer, assis, queue déployée.
        J’avais pris l’habitude de dormir de l'autre côté, car le bruit et les lumières de phares me tenaient éveillée.

        Au début, elle n’était pas si près du rond point, mais des travaux d’élargissement de la route avaient rapproché la maison de ma grand-mère de la circulation. Elle avait refusée d'être expropriée. 
        Vaillamment elle avait  lutté pour conserver son ce bien et quand elle s’est éteinte et nous l’avions
installée poing levé dans son cercueil afin que chaque visiteur puisse mesurer la densité de sa fin de
vie. C’était une tenace, de la carne bien ferme.
        C’est sa chambre qui donnait sur le rond point.
        Quelques jours après sa mort, la statue du renard a pris des couleurs. Repeinte en vert avec des pois roses.
        Puis ils l’ont nettoyé.
        Le lendemain, il était bleu. J' ai rappliqué aux vacances suivantes. Il était déjà passé par tout un camaïeu de couleurs et de motifs. Le regard tourné vers la maison, il trônait là fier dansde nouvelles parures dorées.
        Je me suis installée quelque temps. La nuit, les voitures semblaient traverser la maison tant la route était proche. Comment avait elle pu supporter cela ?
        « Grace au renard ! il me regarde et parfois des hordes entières passent et font bifurquer les voitures. Parfois, j’ai l’impression qu’il appelle son clan depuis son îlot » les mots de mamie..

        J’en étais restée là, depuis mon enfance,elle ne manquait jamais de raconter des histoires qui me transportaient dans des contrées mi réelles mi imaginaires où la boulangère avait une vie secrète de trapéziste et le maire un costume de croisé, mais banni -d’où son aigreur bien réelle.
        La maison était encore remplie d’odeurs familières, sa poudre à joue rose, les bouquets disparus.

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        Les réverbères s’éteignaient à minuit, restaient les faisceaux des phares passant dans le salon et le crissement des freins lors d’un virage un peu brutal.

« un jour j’en retrouverai un encastré dans ma salle de bain » avait elle dit.

        Les jours passaient et la statue se parait de couleurs, de carreaux, de rayures. L'employé municipal chargé de la nettoyer s'en amusait  et déblayait bien le terrain pour que l'artiste ne s'étale pas dans les ronces.


        Un matin, c’est un renard que j’ai trouvé, il était sous le goutte à goutte du robinet mal fermé. Il a
détalé en glissant sur le parquet.

        Les soirs où j’ai veillé, l’œil entre les rideaux, il ne s’est rien passé. Par contre chaque fois que je me suis assoupie, la statue de renard au matin était de nouveau colorée.
        Je me suis demandée si Mamie n’avait pas quelque chose à voir avec tout cela ; avait elle donné des instructions avant sa mort?
        Je suis même allée sur sa tombe lui demander. Le soir même nous avions un magnifique ciel roux et
flamboyant que je partis photographier.
        Au retour, la statue avait été repeinte.
        Finalement, ils ont décidé de stopper les nettoyages et fait pousser des massifs un peu plus haut .
        On a retrouvé de multiples terriers autour de la route et près de la maison, et les sangliers se sont mis de la partie, ils ont traversés plusieurs nuit durant le rond point, saccageant les nouvelles plantations et détériorant les bas côté.  Passées quelques semaines, le bitume en partie défoncé a menacé de s’effondrer.

        Et la statue est réapparue en plein soleil, orange et brillante.
        Une partie de la route est devenue t impraticable et au vu de l’humidité des travaux étaient inenvisageable. Ils ont condamné le rond point et laissé juste les routes adjacentes.


        Les phares ont cessé de traverser les fenêtres et la maison a retrouvé  la paix.

        Le jardin s’étale maintenant loin devant comme avant, quand elle était tranquille à faire ses bouquets et prendre le soleil devant la maison.

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        Certains soirs je vais m’ allonger près du renard et je pense à elle quelque part levant un poing victorieux.

 

 

 

Inspiré du rond point du Chat Noir de Saint Philibert (56)

5 octobre 2022

Les petites pièces d'identité

 

Longtemps, elle a cherché la permanence. Cet état  suffisamment construit pour qu’il la mette en équilibre, sans danger, telle la surface d’ un lac avant la première lueur de vie. 

Comment dans le chaos du monde trouver un éclat  de chaleur contre  lequel se blottir.

Ses parents étaient des courants d’air, la laissant seule dans l’appartement au milieu des objets auxquels elle donnait vie.

Le  milieu  du canapé, au cœur du salon, était la place aux bruits : ceux du dehors, ceux du dessus, du dessous. Les murs et les vitres  formaient une enveloppe dans laquelle elle avait fini par se sentir bien.

 Aux anniversaires, c’était plus vivant.  Elle avait demandé à sa mère d’imposer  des horaires,  passait pour une enquiquineuse, rabat joie alors qu’il s’agissait de retrouver un calme réel à la fin de fête. Quel apaisement quand ils partaient tous, les derniers pas et cris dans les marches signaient le retour aux  bruits des petits moteurs, chauffage, réfrigérateurs.

Le soir, le lampadaire restait allumé jusqu’à minuit, de la fenêtre ouverte, elle l’entendait grésiller.

Quand elle eut grandi, elle est partie, et ils ont déménagé. Ses repères se sont envolés. Longtemps elle a trimballé le petit cahier des papiers peints découpés à l’annonce du départ : 3cm sur 3, de quoi cacher les forfaits et emporter quelques motifs ou granulations. Souvent elle avait caressé le papier de la chambre d’amis, imaginant un code en braille ou la peau d’un monstre qu’elle seule pouvait percevoir.

Elle a emporté le téléphone jaune  devenu obsolète bien qu’il ait trouvé les dernières années une seconde vie  grâce à une protection de velours  vert à laquelle chacun prodiguait des caresses durant les appels.

Elle a cherché un logement avec un lampadaire devant la fenêtre et des voisins sur quatre côtés.

Mais le calme était parti, profondément abandonné. Dans la grande ville, Le lac avant la première lueur était surplombé par des nuages denses et noirs, prêts à céder.

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Dans les salles vides des cinémas de 11h, dans les livres ouverts aux odeurs de moisi, d’encre ou d’amande, dans les magasins de vêtements aux néons de pluie, dans les bribes et rencontres , elle a reconstitué sa peau, son monde. Cela a pris du temps .  Illustrer les murs, découvrir de nouvelles épices, se remplir de bouts de quartiers, respirer les tissus, choisir ses textures, ressentir les atmosphères. 

Trimballer l’extérieur.

Au fil du temps, l’extérieur diffuse à l’intérieur, devient chair  et devient soi. 

Alors, les repères sont votre corps vos membres et vos pensées, vos pas pour avancer avec dans la poche un éclat de tranquillité.

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28 septembre 2022

Bee

        Bee était née avec une fleur sur sa tempe droite.

        Dans le ventre de sa mère, le réseau capillaire s’était adapté aux conditions d’hébergement, si bien qu’à l’étroit et la paume reposant sur sa joue, les vaisseaux s’étaient développés sous ses doigts puis  avaient bifurqué pour se frayer des chemins.

        Cinq boucles s’étaient formées qui revenant à leur point de départ formant cinq pétales.

        Ils la nommèrent Bee, au lieu de Bonnie, initialement prévu. Bee comme la rencontre au cœur de cette fleur de la peau et du baiser de l’abeille.

        Puis, ses cheveux poussèrent tant que le cœur végétal fut bientôt recouvert.

        Mais il demeura, le lieu privilégié où loger des baisers. Les pétales grandirent s’ouvrant sur le front et sous la chevelure telle l’ornement légèrement coloré d’une une tiare palpitant légèrement.

        Les coiffures, franges évoluaient au fil des années, et peu à peu Bee refusa les baisers sur sa peau.

        Mais de l’index, elle pouvait sentir le cœur et le contour des pétales et dans les moments difficiles elle parcourait du doigt sa tempe et les veines qui revenaient en leur centre. Alors une île apparaissait où elle était inatteignable et forte.

        Un jour une cicatrice traversa un des pétales, puis une autre, un peu plus loin. La fleur sembla se disloquer, et Bee ne pouvait plus en faire le tour. Peu à peu une douleur monta de son cou tel un fil de métal chaud qui, prenant son temps et racine,  vint coloniser la moitié de son visage.

        Bee se sentait coupée en deux, tout comme sa raison et son cœur, ses désirs et sa réalité. Partir, rester. A force d’oublier cet hémicorps elle développa en quelques jours une légère boiterie.

        Et bientôt elle dût se mettre au vert.

        Chez ses grands parents, la table était toujours mise, il suffisait d’appeler et les draps étaient dépliés. Elle retrouvait le lit , creux  comme une une barque et ajoutait ces édredons dans lesquels elle avait tant rêvassé.

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        A part écosser les petits pois et rempoter, il n’y avait rien à faire. C’est cela qui était si bon. Ce jour là elle sortit une fois de plus les cartons de photos. Elle empruntait régulièrement des clichés pour en faire des montages, ou se sentir unie à la lignée.

        « Une de tes arrières grand tantes boitait, elle avait une jambe plus courte que l’autre. C’était la seule ; Au départ, ils avaient bien essayé de tirer sur sa jambe, puis son père s’était résolu à lui fabriquer des chaussures spéciales. Ça lui donnait une allure de cowboy, ou plutôt de cow girl. Tiens regarde » Et de me montrer cette jeune femme au milieu des autres. Alors qu’ils posent tous sur le perron, elle etait la seule à ne pas fixer l’objectif, elle regardait sur le côté ou au loin. Quelqu’un essayait il de la distraire? Elle portait un châle à fleurs et un pantalon qui descendait jusqu’à ses chevilles.

        Sa tignasse etait retenue par un grand peigne. Ni apprêtée ou docile comme les autres qui essaient de ne surtout pas bouger, son corps est dans un léger flou comme si une part d’elle tente de s’échapper.

        « Je crois qu’elle s’appelait Deborah.

        Je me demande quels talents avaient ces personnes. Qui chantait ? qui racontait ? qui cousait comme personne ou fabriquait des paniers.

        Réchauffée et réparée, Bee était repartie avec quelques photos, qu’elle renverrait comme chaque fois par la poste.

        La photo de famille resta sur son bureau quelques jours.

        Cette Deborah apparut dans un rêve, puis elle y vit un garçon qui la hélait et qu’elle rejoignait claudiquant.

        Alors elle dessina le garçon du rêve et le posa le dessin à distance de la photo.

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Cela fit sens, comme une évidence. Il était là quelque part à l’attendre, caché, elle seule pouvait le voir. Elle agrandit la photo avec le souhait de la coloriser avant de la rendre à ses grands parents. Il s’agissait de retrouver les possibles couleurs de l’époque et de redonner chair à ces mines grisâtres.

        Sa grand-mère adorait ça. Elle était très douée pour décrire le teint des personnes qu’elle avait connus, et Bee puisait dans ce nuancier pour mettre la bonne couleur. Mais là il fallait inventer, et cette recherche de tonalité était un travail passionnant. Avec une loupe collée à son œil, Bee promenait son regard sur tous les détails, les froissements, l’épi du père transmis au fils un peu plus brun, le mur craquelé. La photo se segmentait et les lignes se croisaient.

        Vint la chevelure indomptée de Deborah et ce drôle de peigne qui ramenait un peu les cheveux en avant. Parmi les lignes, elle aperçut alors des courbes formant des boucles, cinq boucles parfaites tels des pétales débordant sur le front. Une fleur sur la peau où déposer des baisers.

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        Ainsi commença la quête.

        La colorisation terminée elle appela sa grand-mère pour la prévenir de l’envoi imminent de la photo.

        « Je me réjouis de ton travail ! tu sais cette jeune femme Déborah, je crois quelle est partie un jour, loin, elle voulait voyager. Tu imagines à l’époque, et avec sa boiterie, quel périple !

        Déborah…Savais tu que cela signifie abeille ?"

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12 juillet 2022

Les branches de saule

Plusieurs kilomètres me séparaient du champ de saules. Mon arrière grand père en avait plantés sur toute la parcelle qui lui avait été alloué: un roc montagneux peu fertile qu'il avait nourri, et abreuvé, en plongeant des fils de laine cardée dans la source et tissant un réseau sur cette surface peu amène.

Il fut traité d'original dans son sens le moins flatteur.

Quelques années plus tard, quand grace à ses soins, la zone fut vegétalisée, des receptacles d'eau de pluie accrochés aux troncs et branches, et gouttant sur des tuyaux de bambous plus ou moins généreux, relière le champ en contrebas, mêlant le nectar limpide à celui plus riche qui émergeait par capillarité au pied de la roche.

D'abord il fit les trajets à vélo, puis à pied, puis l'eau monta encore. 

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Le champs, saturé d'eau  se peupla d'herbe hautes qui bientôt deviendraient aquatiques.

La saulée avaient ainsi transformé le paysage environnant, devenue petite jungle ombragée, humide et luxuriante où les insectes aux luisantes carapaces , les petits mamifères et quelques oiseaux colorés avaient trouvé refuge comme sur une île. 

Enfant, il m'avait embauché pour grimper et tailler les branches les plus fines des saules. Depuis mes perchoirs, je les liais avec du lierre , ou de la passifore pour en faire des fagots que je lui lançais afin qu'il les immerge en contrebas.

Puis, le soir nous remplissions les barques des fascines gorgées d'eau et rentrions à la maison. Mais le plus souvent il poussait mon embarcation et je partais seul: "dis leur que je reste et que tout va bien", et il remontait sur son territoire.

Porté  par la brise, je laissais la barque  glisser, sa confiance et la douceur du soir suffisaient à ma sérénité.

Les mains dans l'eau je caressais d'immense chevelures et lentement je regagnais la maison.

Il m'apprit à mâcher le saule afin d'en évaluer l'hygrométrie, à respecter les terriers et à descendre d'un arbre sans faire vibrer le sol. 

Je ne compte plus les fois où ma barque remplie de fagots repartait seule, créant un unique sillage sur l'eau calme où se reflétait le soir. 

Chaque année, lorsque je revenais, l'eau avait gagné du terrain, atteignant les racines des premiers saules, puis leur tronc baignant dans un limon de terre abrasée et de particules de roches.

Il repeignait ma barque d'une couleur différente, changeait quelques planches, ce qui modifiait son aspect,son allure, la sonorité de ses craquements, faisant de mon retour seul un voyage différent. 

Puis j'ai grandi.

Longtemps j'ai cherché la main douce du vent sur l'eau, sur ma peau, l'éveil des arbres quand vient le soir,

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le calme des animaux, et cette sérénité de ma barque portée par un courant d'herbes et de brise.

 

Peu après m'être fiancé, j'ai émis l'idée auprès de mon aimée de venir camper sur la roche, entre deux saules.

Nous sommes arrivés par la terre, avons gravi le mont puis sommes descendus sur l'autre versant en suivant les traces d'usure au sol..

J'ai coupé des branches souples et  les ai légèrement pliées et mêlés  afin de nous constituer une enveloppe et un toit .

Puis je l'ai regardée plonger.

J'ai imaginé ses jambes caressées par les herbes hautes et aquatiques. Depuis ses mains tendues, l'eau s'ouvrait en un V, et de légères vagues se propageaient  de plus en plus loin.

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Puis, elle est remontée, et nous sommes restés assis l'un contre l'autre, longuement, sans parler alors que la nuit nous ouvrait les bras.

 

19 juin 2022

Taille Haute

 

 

Nous nous sommes rencontrés un 14juillet. Le bruit des pétards t’avait fait fuir loin, par dessus les
murets, escalader les roches lisses au risque de te casser une jambe.
La nuit avalait les étincelles mourantes, au loin des fêtes se préparaient.

J’avais sorti mes plantes vertes pour les exposer à la Lune, quand tes sabots luisants sont apparus, puis l'ombre de ton corps monumental, avançant avec prestance et port altier.

Tu glissais tel un voilier traversant le jardin et te mis à sucer les feuilles qui dépassaient du balcon.

Je remplis une bassine d'eau et la déposais entre deux branches du grand saule. Ta soif étanchée tu t'assis dans un coin déposant ton long cou sur ton dos.

Ils t'ont cherchée. Les journaux, la télévision ont diffusé ton portrait: Ginger, 4m56, échappée à la tombée de la nuit du 13juillet. On pouvait voir tes longs cils chassant l'air et tes jambes quadrilatères, aussi droites que les piliers de la tour Eiffel.

Je ne prévins personne. Ni cette nuit, ni les jours qui suivirent.

Aux ateliers, impassible, je n'ai pas dévoilé ce secret, parfois j'en ai même douté. Nous sommes très occupés par les collections à venir, et nos journées sont sans parole inutile. Seuls les coups de ciseaux et le rythme des machines à coudre et fers à repasser reposent sur l'air vaporeux.

A la maison, Ginger a été rebaptisée devenue Audrey. Elle passe les journées au jardin la tête dans les feuillages. Parfois, le soir, nous allons nous promener. Elle se glisse entre deux arbres et enjambe la barrière derrière laquelle je l'attends. Nous courons à travers champs, puis elle galope et je la regarde fourbu, heureux.

Dans le salon j'ai découpé une fenêtre ovale, au cas où s'annonce un visiteur . Elle entre alors dans la cuisine, passe sa tête dans l'encolure de bois sertie de soie fauve et ferme les yeux. 

Parfois elle s'assoupit, sa tête s'affaisse un peu et elle expire par les naseaux. Je tousse alors doucement pour couvrir le bruit de l'étrange trophée. Puis, le visiteur parti, je la réveille en grattant son échine et elle ressort siester au dehors.

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Depuis ma chambre, à l'étage, son pelage bistre semble un buisson aux corolles originales.

Quand elle se présente au balcon, je peux enserrer son cou, sentir ses vertèbres et quand elle dépose sa tête sur mon épaule, la poussée contre ma peau me donne envie de pleurer.

De l'atelier, j'ai apporté des chutes de soie, déchirés, filés qui allaient au rebut.

Dans ses yeux brille la soie violette: entre l'héliotrope et le  zinzolin nous avons choisi ce dernier qui s'harmonise avec son pelage pavé de roux.

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Avec une fine aiguille, je suture et rebâtit les montants manquant des échelles.

Je surfile alors qu'elle atrappe un bourgeon du petit acacia qui affleure au balcon. La pelerine est terminée.

J'ouvre la fenêtre et pare son cou de l'étoffe brillante qui se déploie telle une cape recouvrant son corps en entier.

Puis, je la rejoins et nous partons entre les arbres courir dans les champs. 

Ses sabots dansent en rythme alors qu'elle disparait dans la soie et la nuit.

Puis gorgée de parfums de feuilles et du vent, elle vient s'allonger près de moi et je m'étends le long de son cou qui palpite.

 

9 juin 2022

Les instants parfaits

La terre exhalait une odeur de pluie épaisse comme un tapis.

 

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Mon imperméable gouttait sur mes chaussures et je les ôtais pour continuer pieds nus. L’herbe commençait à sécher se redresser, ébouriffée. La lumière avait apposé sur le vallon des nuances de  verts qui variaient au bon vouloir des nuages, le vert lichen dominait, se diluait dans  la menthe et la malachite, alors que les arbres s’ ombraient de tons anglais et secouaient des piécettes  dorées.

Le chemin se faisait escarpé, les arbres plus grands s’ouvraient en un cintrage multiple.

On dit que nous avons chacun un arbre à notre image, celui que j’aperçus au loin m’ invitait à le rejoindre de ses branches arrondies. Il était fin, droit et je devinais ses denses racines plongeant profondément vers le passé.

A son côté s’élevait un géant arc-bouté sur des petites pousses et une foule de violettes.

Les branches du géant étaient plus fournies à l’opposé du petit arbre qui profitait ainsi mieux du soleil.  Pourtant il serait différent. Quel était ce besoin de laisser pousser l’autre ? 

Etait il là pour lui assurer de vieux jours,  charmer et attirer  l’eau avec ses capillaires? 

Des couleurs chaudes éparses rehaussaient le tapis mauve. Visiblement des semeurs étaient passés par ici. Ma  vieille tante, peut être, elle parcourait les forêts et routes avec ses sacs de graines qu’elle  jetait un peu n’importe où. Elle n’était plus sur -mais sous-  cette terre depuis quelques années. Les oiseaux et le vent avaient pris sa suite. Et les graines de voyager ... En son honneur, je me tressais une couronne.

 

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Puis le gros tronc m'offrit, le temps d'une halte, le creux de ses racines. Les souvenirs devenaient brume, et mes sens se décuplaient. 

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Continuer. 

L’ascension était rude. Le point de vue devait être magnifique. Bientôt je ne pensai plus.

Au plus haut se dessinait un  petit promontoire. Plus qu’une dizaine de mètres.

Les herbes l'avaient caché à ma vue.  Apparurent ses cheveux, son cou, son dos.  Assis, il regardait par delà les collines, peut-être au fond de lui-même.

Il tourna la tête vers moi et souleva un chapeau invisible pour me saluer.

Oh dear, il ressemblait tellement à Paul, mais c’était improbable. A son âge, combien d’heure de marche cela pouvait-il représenter?  Garçon dans le vent mais quand même.

Je songeais redescendre, (ne pas le déranger) mais  il me fit signe de m’asseoir.

Sa voix chantait déjà en moi, les refrains les uns après les autres, (on en avait soupé aussi de celle ci à la flûte à bec, ) .

« N’est ce pas splendide ? me dit il.

- ça l’est. Vous venez souvent ici ?

- Oui. J’aime beaucoup cet endroit”. Et en écho: “Love this place”.

J’aurais aimé lui dire tant de choses, mais le silence était plus précieux.

Ses chaussures de randonnée étaient pleines de terre et ses vêtements ordinaires.

Il se pencha, attrapa son sac à dos et le posa entre nous. Puis il en sortit un thermos et deux tasses.

“Tea time!.”

Un moment parfait.

 

1 juin 2022

Marylin Moon r'eau

Il était une fois un poisson voyageur...
Nageant et volant, il était au service des uns des autres: il suffisait de l’appeler, car son ouïe fine captait les ondes de chagrin et de désespoir.
Cette nuit là, j' avais plongé si profondément dans mes propres eaux sombres, qu’il était apparu dans mes songes.

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Avec son armure rutilante et ses yeux écarquillés, il paraissait paisible et determiné. Aussi avais-je demandé son aide, en secouant l’eau du ruisseau en contrebas du jardin.
Un messager aux écailles bleutées avait remonté le courant et, je l'avais suivi jusqu’à la rivière qui scindait la forêt. Le poisson voyageur était là, en attente sous une grosse racine et je montai sur son dos. Lui tenant les branchies, bercé par le courant, bientôt je me sentis flotter alors que le temps s'évaporait.

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Arrivé à l’estuaire, le poisson voyageur plongea nous emportant tout au fond. La lumière disparut alors que les bras multiples des laminaires me caressaient, passager défait de ses craintes. Le poisson filait vite, frôlant les rochers et rejetant des guirlandes de bulles.
Au loin, des scintillements auguraient un parterre d anémones luminescentes et de coraux, dont les reflets colorés battaient en orchestres organique. Une sirène aux boucles blondes,portrait craché de Marylin, -j'avais la même, dents dehors sur le mur de ma chambre- se chargeait de vous conduire vers votre lieu, quelque part au creux des plantes et bancs de micro poissons
Au dessus, dans le bleu se balançaient de petits Âmeçons brillant comme des étoiles.
Je vidai poches et sac à chagrin : une lettre qui se consumaient de rage, des regrets enveloppés dans un tissus et mes larmes retenues. Puis j' ôtai le chapeau de mon père et mes cheveux attirés vers une lointaine surface reprirent leur posture sauvage.
Bientôt la forêt d’ Âmeçons se chargerait de cajoler puis libérer ces présents.
Voilà s’en était fini, quitter la gardienne-Marilyn, remonter à la surface porté par le courant.
La vie pouvait reprendre.
La mer est devenue une confidente mais la vie vous porte ailleurs vers la ville et ses tempêtes.
Les poches se remplissent et on se couvre de nouveaux chapeaux.


Ces soir là, quand le cœur est lourd, je monte sur les toits et attends qu’elle passe la gardienne-Marylin. A la fenêtre de sa planète flottante, ses bras m'enveloppent et de son sourire émane la chaleur.
Elle peut tout entendre. Son regard intense capte vos chagrins et de vos mots abîmés elle fait des baisers u'elle accroche aux étoiles.

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29 juin 2021

Wagon jaune Au bout d’une voie sans issue, mon

Wagon jaune

 

 

 

Au bout d’une voie sans issue, mon wagon jaune et rouillé se balance dans le vent. Les arbres ont poussé et me cachent aujourd’hui de la route. Les curieux depuis longtemps s’arrêtent au kilomètre 14, là où les rails s’enfoncent et disparaissent dans la terre.

 

 

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Après la mort de Dio, j’ai racheté cette carcasse vouée au broyage. Dio, c’était l’Idiot, un vieux garçon qui vécut là au départ de sa mère. Persuadée qu’on viendrait le chercher à son tour, elle avait eu juste le temps de le cacher là. Chaque soir il dormait sur des planches glissées sur les essieux. En journée, ceux qui savaient venaient déposer des paniers. Puis il avait peu à peu pris racine, dans ce wagon, à quelques mètres de la route. Il avait creusé un potager tout autour et faisait signe aux passants et automobilistes.

 

Il y en avait un autre à quelques kilomètres de là dont j’ignorais le nom, il passait son temps dans un virage, juché sur un tracteur en panne, et saluait les gens. Les deux sentinelles du coin.

Dio connut quelques filles, il était habile, faisait tout d’un rien, et connaissait bien les animaux du coin, ceux qui passaient jour et nuit. Mais personne n’aurait pu s’installer dans ce wagon sans locomotive, ni être la locomotive de Dio pour qu’ils partent vivre ailleurs. Il était un peu le « sauvage », celui qui a un savoir autre, qui ne parle pas ou parle tout seul ou avec les bêtes de la plus grosse à l’insecte. On disait que les renards mangeaient dans sa main, et qu’il partait des heures en forêt sans se perdre. Peut être voyageait il jusqu’à la mer, dans sa tête probablement.

J’ai laissé cette couleur jaune, qui en automne se fond dans le ciel de forêt, ai ceint l’habitacle d’herbes hautes et les fougères ont poussé côté ombre. Le soir j’ouvre un peu la fenêtre et le parfum des fougères se déploie dans la chambre et la coursive. L’intérieur est aujourd’hui bien plus confortable. J’ai repris le potager, mais n’ai pas son savoir faire et m’interroge encore sur la fonction des petits morceaux de bois taillés ou mordus et des bouts de ficelle tressés. Il y a d’autres trésors dans une boite de bois foncé, assemblée avec tenons et mortaises. Personne n’a rien réclamé, je me sens responsable de ce don si précieux.

Allongée sous les fougères, les voutes feuillues se succèdent, parfois je m’endors et part très loin. Le wagon est l’attache qui me permet de  revenir des rêveries et des songes. Dio a ancré son vaisseau dans la terre. Il est tel un rocher aux multiples racines. Quand je m’adosse contre la roue, tout va bien, tout tient.

Le soir, des bruits s’éteignent, d’autres émergents, l’odeur de fougère vient me chercher. Elle n’est pas seule, les yeux fermés je vois l’animal au pelage orange, il avance doucement, tête basse et renifle sous la fenêtre.

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Je pars le rejoindre, et nous nous enfonçons dans la forêt mère pour une longue marche dans la nuit. Le wagon disparait mais je le sens derrière nous et le retrouverait aux premières lueurs.

 

 

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des traces de pas...sur les nuages
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