Wagon jaune Au bout d’une voie sans issue, mon
Wagon jaune
Au bout d’une voie sans issue, mon wagon jaune et rouillé se balance dans le vent. Les arbres ont poussé et me cachent aujourd’hui de la route. Les curieux depuis longtemps s’arrêtent au kilomètre 14, là où les rails s’enfoncent et disparaissent dans la terre.
Après la mort de Dio, j’ai racheté cette carcasse vouée au broyage. Dio, c’était l’Idiot, un vieux garçon qui vécut là au départ de sa mère. Persuadée qu’on viendrait le chercher à son tour, elle avait eu juste le temps de le cacher là. Chaque soir il dormait sur des planches glissées sur les essieux. En journée, ceux qui savaient venaient déposer des paniers. Puis il avait peu à peu pris racine, dans ce wagon, à quelques mètres de la route. Il avait creusé un potager tout autour et faisait signe aux passants et automobilistes.
Il y en avait un autre à quelques kilomètres de là dont j’ignorais le nom, il passait son temps dans un virage, juché sur un tracteur en panne, et saluait les gens. Les deux sentinelles du coin.
Dio connut quelques filles, il était habile, faisait tout d’un rien, et connaissait bien les animaux du coin, ceux qui passaient jour et nuit. Mais personne n’aurait pu s’installer dans ce wagon sans locomotive, ni être la locomotive de Dio pour qu’ils partent vivre ailleurs. Il était un peu le « sauvage », celui qui a un savoir autre, qui ne parle pas ou parle tout seul ou avec les bêtes de la plus grosse à l’insecte. On disait que les renards mangeaient dans sa main, et qu’il partait des heures en forêt sans se perdre. Peut être voyageait il jusqu’à la mer, dans sa tête probablement.
J’ai laissé cette couleur jaune, qui en automne se fond dans le ciel de forêt, ai ceint l’habitacle d’herbes hautes et les fougères ont poussé côté ombre. Le soir j’ouvre un peu la fenêtre et le parfum des fougères se déploie dans la chambre et la coursive. L’intérieur est aujourd’hui bien plus confortable. J’ai repris le potager, mais n’ai pas son savoir faire et m’interroge encore sur la fonction des petits morceaux de bois taillés ou mordus et des bouts de ficelle tressés. Il y a d’autres trésors dans une boite de bois foncé, assemblée avec tenons et mortaises. Personne n’a rien réclamé, je me sens responsable de ce don si précieux.
Allongée sous les fougères, les voutes feuillues se succèdent, parfois je m’endors et part très loin. Le wagon est l’attache qui me permet de revenir des rêveries et des songes. Dio a ancré son vaisseau dans la terre. Il est tel un rocher aux multiples racines. Quand je m’adosse contre la roue, tout va bien, tout tient.
Le soir, des bruits s’éteignent, d’autres émergents, l’odeur de fougère vient me chercher. Elle n’est pas seule, les yeux fermés je vois l’animal au pelage orange, il avance doucement, tête basse et renifle sous la fenêtre.
Je pars le rejoindre, et nous nous enfonçons dans la forêt mère pour une longue marche dans la nuit. Le wagon disparait mais je le sens derrière nous et le retrouverait aux premières lueurs.