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des traces de pas...sur les nuages
9 août 2013

la Belle Dame Du Fond

 

La Belle Dame du Fond

Je connaissais bien cette route, j’avais vu les arbres pousser puis disparaitre pour céder la place à des maisons pour certaines faites de leur bois.  Elle reliait deux forêts éloignées de centaines de kilomètres, celle des vacances ici et celle plus vaste de l‘école là bas. Entre les deux parfois huit semaines parfois dix mois.

Voilà que je montais dans le train de mes souvenirs, les images étaient si fortes que la route passa en second plan et je dus diriger la voiture vers le bas côté pour reprendre mes esprits.

 

P1050178

 

La légende rapportait que le lac avait gelé pour la première fois en l'an 1000. Une nappe de froid avait traversé le pays telle une flotte de navires tristes, cristallisant rosée, rivières et feuillages, pétrifiant dans leur sommeil les animaux les plus faibles.

Au fil du temps, autour de cette bande de terre en forme de croissant de Lune, les sapins avaient trouvé terre à leurs racines, certains même s'aventuraient jusqu'à l'eau s'y contemplant des heures durant.

D’ombre vêtu il restait gelé une grande partie de l'année et n'intéressait personne.

En dehors de cette période, les abords étaient si peu praticables qu’aucune âme ne s' aventurait là.

Il n'y avait pas grand chose à y voir et les arbres noirs et élancés s'étaient resserrés autour du petit arc gelé gardant pour eux cette maladresse de la nature posée à leur pied.

A deux pas de là s'étalant de tous ses bras, le lac Toïgalé, immense et clair, était devenu un sanctuaire pour les touristes en mal de poissons grillés et de causeries  autour d’un feu.

Je venais là presque tous les jours. Au printemps, les arbres touffus se fermaient ,je le sentais, sur ma petite silhouette assise, comme sur un coffret.

Malgré la faible lumière, je restais des heures à rêvasser ou griffonner sur un petit carnet. Ou je me frayais un chemin encore plus près de la bande de glace, patins au dos et les chaussais sur une grosse branche.

La langue de glace n'était pas bien longue mais permettait de tenter quelques figures et d'écouter le crissement unique de la glace qui se fendait comme du sucre sous les lames argentées.

C'était reposant, mon rythme cardiaque peu à peu ralentissait.

Au loin, on devinait la vie près du grand lac. Cela me rassurait un peu car ce lieu presque clos avait quelque chose d'étrange. La glace, du fait des ombres accolées, était bleu foncé et je n’osais m’y regarder craignant comme dans les histoires d'y voir un drôle de reflet: un visage grimaçant, une silhouette contorsionnée.  On le disait peu profond mais qui pouvait le vérifier? Les quelques cailloux lancés là n'avaient jamais renvoyé de signe.

Quand le vent soufflait un peu, les branches des pins se balançaient tout autour comme des corps pris dans une douce cadence, et quand il soufflait plus fort encore le tempo augmentait. Je sentais monter alors une ivresse de peur et de joie et il me prenait  une envie de tourner, comme un danseur prisonnier d‘une sarabande.

A presque dix sept ans je projetais de faire des études qui me ramèneraient, de temps en temps je l'esperais, en cet endroit ou vers un autre similaire.

Je n'avais pas d'amitié suffisamment forte pour lui faire préférer des conversations à cet endroit. Et quand je quittais la maison, patins sur l'épaule, mes parents eux mêmes imaginaient des jeux avec d’autres -que je ne présentais jamais- et des chutes suivies de rire fous.

J aimais le grand rocher lisse collé à un tronc.

J’ aimais aussi cette solitude, qui se peuplait à mesure de mes pensées..

Je n'aimais pas voir des silhouettes passer derrière les branches, stoppais à leur approche mes circonvolutions, restais immobile ou me cachais pour faire croire à un lieu mort.

Mais quelques jours avant le printemps, je ne pu nier l'évidence: quelqu'un lorgnait mon coin de paradis. Un vieux monsieur barbu, couleur  d'écorce passait le matin, et posait le pied sur la glace.

S'il était un pêcheur, il allait être déçu: aucun poisson ne pouvait survivre sous cette couche de glace. S'il était patineur, je m’'imaginais mal partager l'étroite bande.

Je voyais déjà la perte de mes heures précieuses et le vieux, là assis la ligne en main ou patin aux pieds, me forçant à partir par sa seule présence.

Un soir je vins dans mon coin avec au bras un panier rempli de grosses pommes de pin, et même de bogues gardées sans raison précise. Je le posai à terre le temps de ramasser de vieilles aiguilles de pin. Puis, je semai ces repoussoirs sur toute la périphérie du petit lac.

Mais le lendemain, quelqu'un avait regroupé le tout et érigé un joli tas agréablement odorant.

Le vieux repassa dans l'après midi et posa de nouveau le pied sur la glace.

Le soir, j’apportai des feuilles de toute sortes, collectée en automne et soigneusement desséchées, et les disposai sur la glace au point de faire disparaître toute entière la fine bande d' opaque lumière.

Mais, le lendemain, les feuilles étaient disposées en un tapis étrange à chaque extrémité du lac, le prolongeant d'une couleur de feu.

Alors je pensai au petit bois.

Le soir qui suivit, je  décidais de camper au bord du lac et fis deux voyages pour transporter toutes mes brindilles. Je les disposai tels des pièges de ronces tout autour du lac, rendant ainsi les berges impraticables.

Je plantai ma tente à quelques mètres de là, sous une souche éventrée, relique d'une tempête, berceau de nuit.

Au crépuscule, une petite brise se frayait un chemin entre les branches.

Comme je l'aimais cette parcelle de forêt, mon territoire, ma confidente. Cela ne se partage pas une confidente. Je savais bien qu’un jour il faudrait en partir, apprendre à se détacher des choses, ne plus chercher réassurance et assentiment.

Je me mis en boule sur le côté, ouvris la tente d'un entrefilet  pour observer, mais la brume déposa le poids du sommeil sur mes paupières puis m’emporta au moment où je me rappelai  ma grand mère disparue, et sa voix chuchotant des histoires.

Une odeur de résine me réveilla à l'aube. Les buissons de branches et d'épines, derniers remparts de mon sanctuaire, étaient en train de se consumer, doucement, embaumant.

De minces fils rougeoyaient, entrelacés faisant le tour du lac tel un halo magnifique.

Qui avait pu faire cela?

Mon feu du soir n'avait pu atteindre les brindilles. Et puis je l’avais éteint, forcément, de cela j’ étais sûr.

Qu'importe, je m'assis sur une cuisse pour regarder la lente combustion qui éclairait à peine les gros troncs, foncés comme des portes. Réchauffée, la glace du pourtour commença peu à peu à rendre les eaux, lent processus faisant naître des bruits de vie, des clapotis.

Malgré les années à côtoyer l'endroit, c'était ma première fonte des glaces et le spectacle en valait la peine. La brise sur la surface devenait un sifflement et les branches immergées se débarrassaient du poids de la glace en s'élevant. Les gouttes d'eau en tombant tintaient comme des clochettes.

Soudain, le vent forcit , caressant le lac, dégageant des blocs. Une ligne d'eau se dessina enfin, puis s'élargit, formant une voie qui filait au loin vers le bout de la berge et la lumière.

Il y eu alors un grondement, et de petite vaguelettes argentées se formèrent pianotant sur la surface.

Ce que je vis alors est mon secret et sa pensée m’étreint encore: des chiens émergèrent d'un coup, deux par deux et encore deux par deux, liés et solidaires, puis ce fut le traîneau qui sortit tout entier de l'eau. Debout tenant les rennes, criant sur les bêtes joyeuses, une femme apparut à son tour, imposante, fulgurante.

Emmitouflée jusqu’aux yeux , elle cachait peine perdue une beauté indéniable. Elle fixait le lointain, mais je crûs voir son regard d'un éclat argenté me remercier.

Je pensai un instant à La Belle Dame sans Merci, et me demandais qui était le plus captif dans l’histoire.

L'équipage séchant au passage se fraya un chemin improbable entre les  pins tout à coup desserrés, puis disparut, alors que la glace sur le lac se refermait. Les brindilles achevèrent de se consumer et le jour éclata enfin.  Je repliai ma tente et chaussai les patins pour les premières traces

Le temps de l'université approchait.

Puis ce temps était arrivé.

 

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