L'Ascenseur du Sirupeux Courtyard Keys Hotel

L'ascenseur du sirupeux Courtyard Keys Hotel

Je rangeai le livre, l'étagère ressemblait dorénavant à une bouche édentée.

Elle n'aurait pas aimé cela.

Où étaient ils, ceux qu'elle enfonçait un peu plus, ou serrait entre d'impressionnants ouvrages afin de les rendre inaccessible tout les offrant à la curiosité.

Je la sentais d'une autre époque, avec ses longues phrases pleines de virgules et d'hésitations.

Dans les jours qui suivirent son décès, j'avais filtré les appels et répondu aux embarrassantes condoléances.

Le temps avait passé, la maison s'était dégarnie, la poussière retombait de nouveau.

Un vendredi il avait sonné de nouveau, le répondeur s'était enclenché (je n'avais pas effacé son message d'accueil « bonjour, je suis absente mais à votre écoute, merci de m'indiquer d'une voix distincte l'objet de votre appel et je vous recontacterai dès que possible »).

Quelqu'un appelait la morte.

Elle ne s'était pas présentée, ils s'inquiétaient. Un phrasé masculin grave, très clair au débit accéléré par l'anxiété, suivi d'un  numéro de téléphone, et de « c'est Serge madame »

J'avais appelé Serge.  Il était concierge au Courtyard Keys (un hôtel au charme rococo s'élevant au fond d'une impasse entre  deux boulevards du quartier des boutiquiers).

« Madame avait une chambre, réservée pour chaque troisième vendredi du mois, depuis cinq ans. »

Serge ne pouvait rien dire d'autre, il était triste et n'en savait pas plus.

Je devais m'y rendre.

La façade du Courtyard Keys Hôtel était couverte jusqu'au premier étage d'une passiflore qui escaladait la parois verticale.

Bientôt elle se chargerait de lourds sacs de fleurs que convoiteraient les abeilles.

Les balcons art-déco formaient des rotondes  qui vues d'en bas, s’emmêlaient tissant un rigide et noir maillage dans lequel le soleil était prisonnier.

Une légère poussée et la  porte tourniquet s'ouvrit au ralenti sur un atrium distribué en différents petits salons.

Je reconnus Serge à ses gestes ampoulés -comme sa voix.  Il regagnait son poste.

Je ne sais pourquoi il avait ce sourire serein.

Il me tendit la clef, elle était si légère que ma main s'éleva un instant.

Je la tins sous la petite lampe et la regardait, tout en caressant ses aspérités.

«Je ne peux vous accompagner, dit il, mais vous trouverez.

Je n'étais pas pressé.

Les tapis succédaient aux parquets marquetés. La lumière diffractée tachait les murs, plafonds et les roses des vents et losanges rapetissant à l'infini sous mes pieds

Je montai un premier escalier  puis un deuxième croisant ou suivant les nombreux clients.

Puis je me dirigeai vers un ascenseur. Deux carrés de tissu cachaient les boutons d'appel.

Ainsi ceux qui montaient ou descendaient ne pouvait deviner où  les uns les autres étaient sensés se rendre.

La surprise du voyage : une conversation inattendue ou une possible rencontre dont on ne pouvait présager ni la durée ni l'intensité.

   J'appuyai sans réfléchir sur le numéro 4.