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des traces de pas...sur les nuages
7 septembre 2020

Les gardiens

Longtemps je l'ai nommé le train des songes.

Nous l'empruntions en famille pour rallier le territoire de nos vacances. Les parents occupaient les couchettes du bas et nous les perchoirs. Une fois les valises rangées, nous attendions le départ fronts aux fenêtres, puis les néons de la  ville se clairsemaient et les phares des voitures devenaient des lignes. La matrice plongeait dans la nuit et les quelques lumières au loin se confondaient avec les étoiles: le sol et le ciel ne faisaient qu'un, un tout au sein duquel flottaient nos corps. 

Après avoir arpenté le couloir en chaussettes, nous regagnions le compartiment et enfilions nos pyjamas. Au creux du ventre métallique, rien ne pouvait arriver. Dans des cadres argentés, les photos de montagnes enneigées faisaient echo au froid des fenêtres où nos reflets se dédoublaient. Ces souvenirs se fondaient dans les reflets gris de l'acier, seuls avaient persisté ceux, un peu passés, de la couverture écossaise. Les parents lisaient tels des gisants. Nous luttions pour ne pas dormir. Mais bercées par le battement de la machine, nous cédions doucement à l'abandon. 

Ce soir je renouais avec le train des songes. Le marchepied était moins haut  et le vaisseau plus moderne. La moquette du couloir avait disparu au profit d'un lino bleu étoilé.  J'arrivais la première dans le compartiment. Dans les fenêtres, clignotaient à l'infini les éclats du métal et les petites lumières des gadgets electroniques. 

Nous étions quatre voyageurs solitaires et les conversations d'usages ne se prolongèrent pas plus loin que la gare suivante, comme si chacun était dans l'attente de savourer quelque chose. Je portais mon pyjama sombre sous mes vetements et les ôter depuis la couchette me demanda une petite gymnastique.

Puis, je me glissai dans le drap et m'enroulai dans la couverture. Mes yeux brûlaient de fatigue et les saccades des rails repoussaient le sommeil de toutes leur force. Alors il ne restait plus qu'à attendre, l'apaisement, le soupir de soulagement, qui précède l'abandon. 

Un raie de lumière venu du dehors traversait le compartiment telle une comète puis un autre. Mes compagnons voyageurs, flous et informes dans le gris, semblaient des bêtes molles endormies.

Je somnolais insouciante et béate.

Puis les saccades des roues sur les rails commencèrent à s'étirer  et ralentir comme les battements d'un coeur qui s'apaise. 

Bientôt le train s'arreta complètement; mes comparses de couche dormaient profondément. Je descendis les barreaux de l'échelle, et sortis dans le couloir. Notre train faisait une halte impromptue en pleine nature.

Des champs montaient d'un côté jusqu'à l'horizon,et de l'autre l'orée d'un petit bois faseyait dans la brume. Quelques voyageurs regardaient dehors, depuis le couloir, je remontai jusqu'au premier wagon, la porte était ouverte et certains se dégourdissaient les jambes enroulés dans leurs couvertures, la tête dans les étoiles.

Ensemble nous partagions ce moment hors du temps, même ciel, même bois, même calme. 

La Lune était si pale qu'elle couvrait le sol d'un tapis blanc et redonnait des couleurs aux branches, comme en plein jour. Ou peut être était ce mon regard qui recomposait le tout.

J'avançai pour sentir les crosses de fougères. Levant la tête je les vis, posés sur les branches tels des gardiens au travail,

 

20200909_211700

 

immobiles comme la pierre mais attentifs et aux aguets.

20200428_183603

C'est alors qu'elle apparu écartant les feuilles sur son passage, une biche dont les yeux luisants absorbaient les moindre reflets, le train, le passé, le cosmos tout entier.

20200909_212038

Je reculai et m'assis sur le marchepied, captive de son regard, comme si le destin nous avait donné rendez vous.

Puis elle machouilla quelques herbes et disparu emportant les couleurs.

 

Je regagnai mon compartiment, montai jusqu'à ma couchette et le train repris son rythme systolique.

Enroulée dans la couverture écossaise, bercée et tranquille,  je regardai le filament de ciel derrière le store, puis vint le soupir... et l'abandon.

Au petit matin, le sommeil s'ajustant à la distance défit son étreinte alors que nous arrivions à destination.

  Nos rêves voyageurs  se chiffonnaient et nous tentions vainement, souriant comme des enfants, d'en retenir des bribes.

 

J'avais un peu de terre sous les pieds, pourtant je me demande encore si tout ceci est vraiment arrivé...

 

 

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