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des traces de pas...sur les nuages
11 avril 2020

Le refuge

 

Avant que le sommeil ne nous prenne, exténuée d'avoir du batailler pour nous coucher, elle se postait sur le balcon de sa chambre où je l'imaginais excédée et lasse.

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Puis comme aspirée par le vent elle sortait, se détachait du nous et je la voyais de la fenêtre s'éloigner à pied.

Dans un entre deux je guettais son pas du retour, le bruit de la porte, parfois celui du ciré se dépliant sur la patère de l'entrée et gouttant sur nos chaussures.

Ses cheveux imprégnés de vents caressaient ma joue sur laquelle elle déposait le baiser de la réconciliation qui closait la journée. 

Elle n'était pas tant appréciée, les parents de l'école se tenaient à distance, certains la toisaient de bas en haut, regardant ses chaussures , ses jupons, ses pantalons fleuris aux poches remplies de trésors, ce corps un peu gauche qu'elle trimballait en société.

 

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Aucun ne connaissait le son de sa voix. On ne nous invitait pas, et mes missives se perdaient au fond des cartables. 

 

"Ta mère, il parait que la nuit elle marche".

 

 

Nous veillions parfois, avec elle et mes aînés. Elle venait nous chercher, nous tendait les sacs de couchage et nous nous installions dehors avec nos oreillers, sous des couvertures qu'elle avait préalablement chauffées devant le poêle. Nous regardions la Lune, elle nous montrait la ceinture d'orion et de là nous partions en voyage.

 

Plus tard, alors que mes jambes avaient poussées, qu'enfin la force avait gagné mes biceps -je les scrutais dans la glace le cou bien tendu-, alors que bientôt ma chambre serait inaccessible et qu'elle poserait moins de question, nous partions marcher avec un petit sac pour ramasser les orties et le gant de cuisine pour me protéger. 

Mes mains effleuraient les têtes des herbes hautes. Nous nous penchions tous les deux et le sac se remplissait. Les orties se faisaient rares alors que nous approchions de l'océan.

Les cyclistes nous saluaient, et les marcheurs rares sur ses chemins caillouteux  laissaient leurs chiens courir langue au vent.

Elle me parlait du moment où un jour moi aussi je quitterais la maison, de mes retours occasionnels, ces choses inconcevables quand le temps parait si long. Je chérissais pourtant ces moments où la nature s'ouvrait tout entière comme le chat grisée par sa première bouffée d'air du jardin.

L' adolescence a teinté de gris le regard que je portais sur le monde et les adultes. Frère et soeur étaient souvent absents et je devenais cynique. Un soir, probablement excédée par ma mauvaise humeur, elle a soufflé sur la flamme affaiblie de ma curiosité.

"J'ai quelque chose pour toi, prépare toi, et tu te couvres pour ne pas avoir froid.

Nous avons marché jusqu'à cet à pic où les orties poussaient telle une petite forêt maudite. Et je l'ai vu géante avancer au milieu des feuilles, ses bottes luisant comme des solerets.

"Suis moi." Elle a commencé à descendre.

Puis, elle a disparu, est réapparue, courbée se tenant aux longues graminées alors que la pente abrupte ne permettait aucun faux pas.

"Tiens toi à celles ci, leurs racines sont profondes".

J'ai vu d'un coup ses jambes se faire avaler par la roche.

"Tu m'entends? Approche encore!" Sa main sortant d'un trou me faisait signe, tout en poussant le rideau de lierre. Je sentis le vide sous mon pied alors que sa voix enveloppait ma peur du néant. "Tout va bien, tu y es presque". Je touchais de nouveau le sol.

La caverne était plus large que haute comme une immense bouche ou un coquillage qui aurait poussé dans ce bout de colline inaccessible.

"Je parie que c'est là que tu allais le soir quand nous étions insupportables. 

- Les soirs de grand vent je pouvais même hurler, personne ne pouvait m'entendre".

Elle riait la main sur sa bouche, retenant certains souvenirs.

Cette caverne avait une accoustique incroyable. Elle tapait sur les parois et je pouvais sentir le sol vibrer. On a commencé à chanter.

Les tourbillons du vent se sont atténués. 

"Tiens mets ton oreille ici me dit elle alors qu'elle s'installait contre la paroi opposée où elle accolait sa bouche.

"Tu m'entends? 

Je ne sais par quel miracle le son parcourait la roche pour parvenir jusqu'à mon oreille. Elle parlait de plus en plus bas, et je reconnus cette berceuse remontée des oubliettes de l' enfance. La nuit n'était plus tout à fait noire, les nuages avaient quitté la scène afin qu'y brillent les étoiles.

 

 

 

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"Cet endroit  sera je l'espère toujours un refuge où tu pourras te reposer quand tu en auras besoin". Elle posait ses mains l'une sous l'autre prêtes à accueillir mes peines.

 

 

Je suis souvent retrouné à la caverne, y chanter, y pleurer, puis bien des années plus tard, la nature à force de la polir l'a effacée pour toujours.
mais je conserve le souvenir de deux mains l'une sous l'autre. Apparait alors un refuge, minuscule coquille, qui absorbe en entier les colères et les peines.

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Il les  transforme en un ciel étoilé, doux comme du velours où le froid n'existe plus, et dans lequel je m'enveloppe et me berce  doucement.

 

 

 

 

 

 

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