L'heure des lueurs Une page s'ouvre chaque soir.
L'heure des lueurs
Une page s'ouvre chaque soir. La Lune tape alors avec son ongle ou montre sa face à la lucarne.
Il y a là un son une lumière irrestistible, un appel. L' univers me happe, et je me laisse avaler.
Ce soir la température s'accorde à la langueur d'un temps distendu.
Sur le dossier de la chaise mon nécessaire est prêt, de quoi m'emmitoufler.
J'enfourche Cyclope, ajuste la dynamo. Les néons du dernier bus emportent des visages lourds de sable et de fatigue.
Sur la route, nous fendons les avancées de brume.
Les sinuosités annoncent que la nature est proche. Devant, la gaze s'ouvre, les branches la détissent, les filaments s'évaporent, alors que derrière le paysage se referme en un fondu au noir.
Mes yeux se sont habitués. Chevaucher entre les herbes baignées de Lune devient un jeu d'enfant. Algues fluorecentes elles se penchent et me guident.
Je pourrais lacher le guidon mais de joie m'y cramponne.
Bientôt je ralentis car le bois s'épaissit. Contre une grosse souche au coeur en spirale je pose le guidon, la roue arrière ébouriffe les herbes, puis tout s'immobilise.
Les étoiles forment des motifs brillants dans ce tissage de branches. Partout mon regard rencontre la beauté.
L'air a la senteur aquatique des magasins de fleurs. j'inspire et prends racine.
Le temps est aboli.
Devant, les herbes ondulent les unes après les autres comme si une onde les frôlait en soufflant doucement. Les fleurs assoupies se balancent à peine.
Il est là, je le sens. En petit éclat de lumière il s'approche dans les feuilles en prenant garde de ne point rompre les divers équilibres.
Je m'assois au bord de la souche, m'enveloppe jusqu'aux chevilles et me penche pour mieux le voir.
Sa voix chuchote alors: "je ne sais rien que tu ne sais déjà".
Puis il s'en retourne, une legère vibration des feuilles dans son sillage.
Je ferme les yeux, ai retrouvé mon peuple et expire de contentement. Mon coeur galope dans ce dedale où gardiens, guides et voyageurs se reposent et se tiennent prêts et souriants dans leur sommeil animal.
Bientôt, la Lune rejoint la terre, la lumière du jour pigmente le paysage. Et je rentre, ventre à terre et afamée, sur mon destrier humide et brillant de rosée.